Sol 23

Sol 23 – Garder le vaisseau (spatial) à flot !

« J’ai une bonne nouvelle, dit-il. J’ai regardé le ciel. Une fusée vient pour nous ramener tous à la maison. Elle sera là à l’aube. »

Chapitre 23 des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury

Aujourd’hui c’est Jérémy qui vous écrit, car Marie doit prendre soin de sa santé. Espérons qu’elle sera bientôt de retour, et en parfaite forme, pour vous raconter nos chroniques ici bien mieux que je ne le ferai jamais. Entre-temps, Alice et Corentin l’ont accompagnée dans son voyage sur Terre, pour qu’elle puisse s’y faire opérer.

Je dois avouer que c’était un moment solennel que de les voir partir tôt ce matin, tout équipés de leur bagages et de leur détermination. Alors que nous n’étions plus que quatre à bord de la Mars Desert Research Station, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux pionniers de l’exploration spatiale. Ceux qui se sont aventurés seuls dans l’espace, ou encore à la surface de la Lune accompagnés d’un unique co-équipier. Seuls face à l’Univers, loin de chez eux.

Quentin et Alexandre se sont faits la réflexion à quel point la station semblait grande, maintenant que nous étions réduits à quatre et rassemblés dans l’Upper Deck. C’est seulement là que j’ai pleinement pris conscience que les opérations allaient devenir légèrement plus difficiles. En effet, pour des raisons de sécurité, nous devons nous assurer qu’au moins deux d’entre nous reste dans le Hab à tout moment. Ainsi, chacun a dû changer ses petites habitudes, comme Adrien qui a arrosé ses plantes plus tôt que d’habitude afin de pouvoir être disponible dans le Hab pendant l’EVA de ce matin. C’était censé être une opération de routine, étant donné que Quentin et moi-même devions simplement changer les batteries et récupérer les données de nos instruments atmosphériques. Cela dit, même les tâches les plus faciles se teintent de complexité dans un tel contexte.

Ce fut malgré tout l’occasion pour chacun d’entre nous d’expérimenter différents rôles : alors que le Commandant (moi-même) et l’Executive Officer (Quentin) étaient en EVA, nous avons confié la responsabilité de la station à Alexandre. En l’absence du Responsable Santé & Sécurité, ses prérogatives me sont revenues. Et nous avons rassemblé toute notre énergie dans l’écriture de l’ensemble des rapports quotidiens.

Substituer du temps dédié aux activités scientifiques pour d’autres tâches est souvent pour le moins frustrant, mais c’est ainsi : il faut bien que tous les systèmes continuent de tourner, tout en s’assurant qu’aucun risque inutile n’est pris. À bord de la Station Spatiale Internationale, seule la moitié du planning est dédié à la science, tandis que les tâches opérationnelles occupent le reste !

Quand il y en a déjà bien assez pour occuper un équipage de sept personnes, on pourrait penser qu’il est difficile de répartir cette charge de travail sur seulement quatre membres d’équipage. Cependant, je pense que nous avons tous appris énormément les uns des autres. En particulier, nous nous sommes assurés d’avoir suffisamment de redondance pour que n’importe quel sous-ensemble de quatre coéquipiers puisse maintenir nos opérations de base. Je dois dire que je suis très fier de cela : il ne s’agit pas d’un succès individuel de certains d’entre nous, mais bien d’un succès collectif.

Au cours des dernières semaines, nous nous sommes souvent fait la réflexion, alors que nous étions tous attablés, que nous avions l’impression de ne pas être suffisamment nombreux pour que tout le monde soit présent. C’est un sentiment pour le moins étrange, mais nous avions vraiment besoin de nous compter mutuellement pour nous convaincre que nous étions bien là tous les sept. À présent, je vous laisse imaginer ce que cela donne lorsqu’il n’y a plus que quatre membres d’équipage à bord ! Alors qu’il faisait déjà sombre et que je grimpais l’escalier menant à l’Upper Deck, je ressentais presque l’isolement du vieux gardien de phare. C’est plutôt romantique de le voir ainsi, mais il ne s’agit que de l’un des nombreux parallèles que l’on peut tracer entre l’espace et la mer. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si le module européen de la Station Spatiale Internationale s’appelle Colombus.

Comme les marins au large, loin des stimuli du quotidien que le monde a à offrir, nous sommes également plus affectés par un certain nombre d’événements. Par exemple, cet après-midi nous avons remarqué avec beaucoup de peine que les feuilles des plants de tomates commençaient à jaunir, à cause d’une température qui avoisinait les 40°C dans le GreenHab. Pire encore : le corps sans vie de l’un de nos huit poissons a été retrouvé dans le système d’aquaponie. Dans un groupe si restreint, on s’attache rapidement aux choses les plus simples, par la force des choses. Je ne suis pas certain que cet événement aurait eu exactement le même effet sur Terre. Ici, je peux vous assurer que nous porterons le deuil de cette pauvre créature pendant un certain temps ! Adrien a testé la qualité de l’eau pour tenter d’identifier la probable raison derrière ce malheureux événement. Jusqu’à présent tout semble en ordre, nous vous tiendrons informés.

Mais, si vous le voulez bien, j’aimerais finir ce rapport sur une note positive. Alors que j’écris ces mots, l’une de nos deux lunes s’extrait majestueusement de derrière l’horizon, et je viens tout juste d’apprendre que l’opération de Marie s’est terminée sans aucun problème. Elle s’est réveillée de son anesthésie et prendra bientôt la navette retour vers la station, accompagnée de nos deux autres co-équipiers. C’est finalement lorsque l’on perd quelque chose d’important que l’on se rend véritablement compte de sa valeur. Et Dieu sait à quel point ils nous ont tous manqué pendant cette très longue journée !

Jérémy Rabineau

Sol 22

Sol 22 – « La dernière semaine? Tranquille tranquille ! »

« Les montagnes martiennes étaient éparpillées, vieilles de plusieurs millions d'années. Les étoiles scintillantes se reflétaient sur les flèches d'une petite ville martienne, pas plus grande qu’un échiquier, sur les collines bleues. »

Chronique n°22 des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury

Je me suis réveillée ce matin au son de mes camarades sortant silencieusement de leurs chambres, encore endormis, pour prendre les mesures physiologiques quotidiennes et répondre aux questionnaires de sommeil. Allongée sur un matelas inclinable improvisé au pied du hublot principal, j'ai senti à quel point il est étrange de ne pas pouvoir avoir les mêmes habitudes que le reste de l'équipage. Alors que Corentin menait la séance de sport quotidienne, à laquelle je ne pouvais pas participer, j'ai saisi cette occasion de prendre très à cœur mon rôle de photographe.

Après le petit déjeuner, il n'y avait pas de temps à perdre : après avoir été reportée deux fois, la troisième et dernière EVA à Candor Chasma dédiée à l'expérience de photogrammétrie allait enfin pouvoir avoir lieu ! Corentin m'ayant remplacée en tant que 3ème membre de l'équipe, j'ai été désignée HabCom pour suivre la sortie extravéhiculaire depuis le Hab. Ce fut une matinée tranquille : après avoir traité les données des instruments atmosphériques, dont les chercheurs du CNRS sont très contents, Alexandre a joué aux échecs avec Quentin, le doux ronronnement de la machine à pain en fond. Pendant ce temps, Jérémy a testé toutes les fonctionnalités de AI4U. L’objectif est que tous les membres d'équipage interagissent avec l'IA afin de faire un retour détaillé aux chercheurs du CNES et à l’entreprise SPooN qui ont conçu ce prototype.

Après 4h d'exploration, les astronautes sont rentrés au Hab, en sueur, fatigués, mais ravis d'avoir enfin pu collecter toutes les données nécessaires à l'expérience de photogrammétrie. Nous avons profité d'un long déjeuner et des discussions qui se suivaient naturellement. Je m’étonne toujours de voir à quel point nous sommes devenus proches au cours de ces dernières semaines, malgré nos différences ; chaque membre d'équipage fait de son mieux pour que cette dernière semaine se passe le mieux possible.

Dans l'après-midi nous nous sommes débattus avec un planning très serré. Les membres de l'équipage s’essaient l'un après l'autre à AI4U, passent leurs tests cognitifs et physiologiques. Alice a commencé à comparer les performances des différentes équipes de photogrammétrie, c’est à qui aura été le plus rapide…

Demain matin je retournerai sur Terre avec Alice et Corentin, où je me ferai probablement opérer. Jérémy écrira les rapports des prochains Sols, et je ne peux qu'espérer être de retour avant la fin de la mission.

Quoi qu'il en soit, cette soirée, bien que teintée d'amertume, reflètera très certainement l'esprit de notre équipe tout au long de la mission : toujours prêts à rire, jamais avares de gentillesse.

Marie Delaroche

Sol 21

Sol 21 – Un long dimanche de retrouvailles

« Ce soir-là, ils sortirent tous pour regarder le ciel. Ils abandonnèrent leur repas et leur toilette pour voir
le spectacle, et sortirent sur leurs porches déjà bien usés, et regardèrent cette étoile verte qu’est la
Terre. »

Chronique n°21 des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury

Notre 3 e dimanche à la MDRS a commencé de manière habituelle, avec un petit peu plus de sommeil
que d’habitude. Enfin reposés après l’ascenseur émotionnel que vous avons vécu hier, nous nous
sommes régalés de délicieux pancakes préparés par Alice. Puis, nous l’avons regardée s’amuser avec la
fonctionnalité « blagues » de AI4U. Cette semaine, Alexandre a d’ailleurs continué de tester les
différents modes de cette intelligence artificielle, afin d’aider le CNES à la rendre fonctionnelle pour de
futures missions spatiales.
Puis, notre 3 e dimanche à la MDRS s’est poursuivi de manière inhabituelle. En effet, deux membres
d’équipage ont réalisé une EVA en fin de matinée. L’EVA du Sol 20 ayant été annulée, les batteries des
instruments atmosphériques n’ont pas pu être remplacées, et attendaient d’être changées dans le froid.
Ainsi, malgré les 40 km/h de vent (auxquels nous sommes néanmoins habitués depuis le début de la
mission…), Alice et Alexandre ont réussi à changer les 3 batteries et à récupérer toutes les données.
Toutes ? Non, un instrument irréductible continue à être capricieux… Le LOAC a dû être rentré au Hab
une fois de plus afin d’effectuer quelques réparations. Il sera remis en place dès demain !

Cet après-midi, l’ambiance au Hab était à nouveau routinière pour un dimanche à la MDRS, et nous
étions heureux d’avoir un peu plus de temps pour nous reposer après les évènements stressants des
derniers jours. Quelques siestes, un film et de la lecture étaient au programme de cet après-midi !
Concernant l’astronomie, malgré le fait qu’Alexandre ne puisse pas faire d’observations de nuit à cause
d’un observatoire robotique éternellement en panne, il s’est mis à l’astrophotographie ! Avec Adrien, ils
ont installé un trépied et un appareil photo sous la coupole de verre de l’observatoire afin de profiter du
magnifique ciel étoilé martien ! Même si nous n’avons pas encore réussi à repérer la Terre, nous
continuons à la chercher activement !

Marie Delaroche

Sol 20

Sol 20 - Un équipage de rêve

« La voile s’affala, se replia sur elle-même, soupirante. Le vaisseau s’arrêta. Le vent s’arrêta. Le voyage s’arrêta. Mars retenait son souffle tandis que les majestueux vaisseaux martiens se regroupaient, hésitants autour de lui. »

Chronique n°20 des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury

La nuit dernière, je suis tombée à l’étage supérieur du Hab, cassant ma clavicule. Même si je ne réalise toujours pas ce qui est arrivé, je sais que la situation aurait été très différente si l’équipage et Mission Support n’avaient pas réagi de façon calme, efficace et attentionnée. 

L’équipage a fonctionné en symbiose ; Quentin m’a même fait remarquer que la scène avait quelque chose d’un ballet.

Notre Agent Santé-Sécurité, Corentin, et moi avons fait un rapide voyage sur Terre durant la nuit dans un vaisseau spatial ambulancier pour aller à l’hôpital, et faire examiner ma clavicule et mon épaule.

Malgré la fatigue et un sentiment de culpabilité d’avoir perturbé le déroulement de la mission, je vais bien. Lors du voyage retour à la MDRS, accompagnés par Jérémy et Alice, nous avons été émerveillés par le paysage martien. Adrien, Alexandre et Quentin nous ont accueilli, anxieux mais souriants, avec de délicieux cookies et des pancakes aux myrtilles.

La plupart des membres de l’équipage n’ayant que très peu dormi, l’après-midi fût consacré au repos. Ainsi, nous sommes prêts à retourner au travail dès demain ! 

Après douze heures très incertaines, il est rassurant d’être tous de retour à la MDRS. Malgré le choc subi par l’équipage, je suis impressionnée par sa résilience. Les mots ne suffisent pas pour exprimer à quel point je suis reconnaissante d’en faire partie.

Marie Delaroche

Sol 19

Sol 19 – Back to Beautiful Candor

« Tout au bout du chemin, les poursuivis et les poursuivants, les rêves et les rêveurs »

Chronique n°19 des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury

Après plusieurs Sols à subir le joug de la météo martienne, les conditions étaient enfin idéales pour réaliser la deuxième EVA de photogrammétrie à Candor Chasma ! Restée au Hab avec Alice, HabCom, j’ai confectionné du pain pour le déjeuner en discutant avec elle. Les moments partagés à deux ou trois sont rares, car nous sommes toujours tous ensemble durant les repas et après le dîner, nos seuls moments de pause de la journée. Nous ne pouvons profiter de discuter seul à seul avec quelqu’un que tard le soir, lorsque la plupart des membres d’équipage dorment à poings fermés, ou au Hab un matin d’EVA. Je dirais que c’est l’une des choses « terrestres » qui me manque le plus !

Jérémy, Alexandre et Quentin sont rentrés au Hab à temps pour un déjeuner délicieux : un Dahl de lentilles préparé par Adrien, et un grand bol de tomates cerises cueillies au GreenHab. La sortie a été un succès : avec à leur disposition quelques notes prises à partir d’une carte en deux dimensions, Jérémy et Alexandre ont réussi à trouver les dix balises à temps.

Dans l’après-midi, j’ai rendu visite à Alice au Science Dome pour qu’elle m’explique la façon dont elle analyse ses échantillons de roches récupérés lors de la dernière EVA de géologie. En utilisant une pile de tamis avec des maillages de plus en plus fins, elle peut séparer les grains de tailles différentes présents dans une roche sédimentaire, et les peser pour avoir une idée de la composition de ces roches. Au GreenHab, Adrien a récolté des épinards et m’a montré la progression fulgurante de son expérience d’aquaponie ! Le réseau racinaire est maintenant plus de quatre fois plus dense qu’au début de la mission. L’aquaponie pourrait être la voie à suivre pour l’agriculture extra-terrestre : aucun terreau n’est requis, l’eau circule en circuit fermée, et ce système permet aux plantes d’être très rapprochées les unes de autres, optimisant alors le peu d’espace disponible.

De retour au Hab, Corentin avait préparé des pancakes pour mon plus grand bonheur, et Quentin et Alice analysaient les résultats de l’EVA de photogrammétrie. Ils ont hâte de voir les résultats de la prochaine EVA, avec la carte 3D cette fois-ci, pour comparer les résultats !

Marie Delaroche

Sol 18

Sol 18 – Quand l’exploration spatiale invite la philosophie à sa table

« “Il est bon de renouveler son émerveillement”, dit le philosophe. “Le vol spatial a fait de nous des enfants à nouveau. ” »

Les Chroniques Martiennes, Ray Bradbury

« Alexandre pour le Hab, je suis arrivé à l’Observatoire. »

Quand j’ai entendu ce message à la radio ce matin, je l’ai instantanément noté sur mon carnet, pour la simple raison que j’étais heureuse pour Alexandre. Le Soleil brillait, il allait pouvoir passer du temps à l’observatoire solaire pour enregistrer des images de notre étoile, et planifier ses observations nocturnes.

J’étais également heureuse pour Alice et Quentin. Le Soleil brillait, les collines martiennes séchaient : de bon augure pour l’EVA de demain. Puisque l’EVA d’exploration utilisant la carte 3D avait été reportée au Sol 20, Jérémy, Quentin et Alexandre chercheront demain les balises en utilisant la carte 2D. 

J’ai commencé à préparer le déjeuner tandis que Jérémy et Corentin « dépouillaient » les résultats de l’analyse Sociomapping réalisée sur la première moitié de la mission. Cette technique permet de littéralement « cartographier » les relations entre les différents membres d’équipage. Grâce à une série de questionnaires auxquels nous répondons plusieurs fois par semaine, une carte est générée par Sociomapping, illustrant comment l’équipage s’organise et comment ses membres communiquent entre eux.

Tandis qu’Alexandre et Jérémy préparaient leurs notes, mémorisant les chemins et les caches des balises pour l’EVA de demain, Quentin fit une découverte : le récepteur de station météo n’avait pas besoin d’être placé à l’extérieur, dans le froid et la pluie ! Placé près du hublot central du Hab, il peut « recevoir » les transmissions des instruments.

Rassemblés autour de la table du Hab pour déjeuner, alors que nous relisions quelques questions envoyées par des journalistes sur notre mission et l’exploration de Mars, le débat s’est très vite lancé : Pourquoi aller dans l’espace ? Pourquoi explorer Mars ? Beaucoup de réponses différentes en sont ressorties. Nombre d’entre nous évoquèrent la science : par exemple, faire bon usage des orbites basses peut aider à apporter des solutions à la crise climatique, étudier Mars nous aide à mieux comprendre la Terre. Même la pure curiosité scientifique peut être motivante. Mais certains membres d’équipage ont évoqué une raison plus difficile à justifier, abstraite mais viscérale, même philosophique : le désir d’exploration. C’est pourquoi j’ai choisi de faire entorse à mon habitude en choisissant cette citation, en lieu et place du traditionnel extrait de chronique : 

« “Il est bon de renouveler son émerveillement”, dit le philosophe. “Le vol spatial a fait de nous des enfants à nouveau. ” »

Marie Delaroche

Sol 17

Sol 17 – Il faut sauver le soldat LOAC

« Quelque part au-dessus, au-delà, au loin, était le soleil . » 

Chronique n°17 des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury

Notre EVA de photogrammétrie à Candor Chasma fut reportée à demain, laissant Quentin et Alice, responsables de l’expérience, un peu déçus. Sans la perspective d’une sortie, ce fut un peu plus difficile que d’habitude de se motiver, mais rapidement Alice et Jérémy ont modifié le planning pour que nous prenions de l’avance dans nos tâches du Sol suivant. Corentin et Jérémy ont alors commencé une session EchoFinder tandis qu’Alice effectuait un test cognitif dans le Hab. 

Au cours de la matinée, la fine couche de neige a rapidement fondu, rendant possible une EVA d’urgence pour récupérer le LOAC, dont les composants sont très sensibles à l’humidité, ainsi que pour changer les batteries des autres instruments. En moins de 30 minutes, nous étions prêts à affronter Mars le temps d’une légère éclaircie. Adrien, Alice et moi étions suivis à distance par Quentin en tant que HabCom, qui nous guidait également pour les opérations sur les instruments. Bien que nous ayons réussi à changer les batteries, à récupérer les données et à relancer les instruments, le moulin à champ s’est déconnecté de l’alimentation, et l’écran de la station météo ne se rallumait pas. Nous avons ramené cette dernière au Hab, ainsi que le LOAC, pour les inspecter.

Pendant le déjeuner, nous avons échangé sur nos lectures d’enfance, conversation bien adaptée à un jour de pluie. Nous nous sommes félicités d’avoir ramené le LOAC avant que le temps ne se dégrade dans l’après-midi : Alexandre s’est bien occupé de lui, le laissant sécher avant d’enlever au pinceau la poussière pouvant endommager l’électronique. Au fur et à mesure que le jour déclinait, mais que la pluie et la neige ne cessaient de tomber, je ne pouvais m’empêcher de regarder par tous les hublots, constatant encore et toujours cette météo contre laquelle je ne pouvais rien. Peu de choses sont plus frustrantes pour moi que d’être impuissante face à un problème, mais Alice est davantage à plaindre : en plus d’être chargée des EVA de photogrammétrie et de géologie, les aléas de la météo l’obligent à constamment adapter notre emploi du temps déjà très complexe. 

Sur une note plus positive, Quentin a écrit un code permettant de tracer les données des capteurs environnementaux en fonction du temps afin de les corréler à notre activité dans la station. En exclusivité, les courbes commentées par notre ingénieur de bord :

« Voici l’évolution de trois paramètres environnementaux (température, humidité et luminosité) en fonction du temps dans les cinq modules de la MDRS. En reliant ces informations à des paramètres physiologiques, les chercheurs peuvent en déduire le niveau de stress engendré par un environnement particulier. Mais elles peuvent aussi simplement refléter l’activité de l’équipage au cours de la journée ! 

Dans le premier cadre, on peut voir l’évolution de la température dans le GreenHab, qui est chauffé pendant la nuit. La température diminue, jusqu’à ce que la limite basse soit atteinte, le chauffage s’allume alors automatiquement, et la température augmente jusqu’à ce que le chauffage ne se coupe. Toutes les demi-heures environ, ce cycle se répète!

Dans le deuxième cadre, on peut voir la luminosité dans le Lower Deck qui augmente (courbe jaune) : quelqu’un a allumé la lumière. Mais ce n’est pas tout, le taux d’humidité augmente également. En effet, c’est l’heure de notre séance de sport quotidienne ! 

Ce ne sont que quelques exemples de ce qui peut être déduit. En observant les graphes, essayez, vous aussi, de deviner ce qui se passe dans chaque module ! »

En ce Sol pluvieux, somme toute très terrien, je pense qu’il est important de remercier notre propre « Mission Support », notre équipe au sol restée sur Terre. Tous les jours, ils s’assurent que les rapports que je rédige sont bien diffusés sur internet et les réseaux, en particulier pour nos proches. Crew 275 pour Crew 293 : Merci d’être notre lien avec la Terre, et de nous envoyer de temps en temps quelques résultats sportifs…

Marie Delaroche

Sol 16

Sol 16 – Une routine extraordinaire

« Ils commencèrent à planifier la vie et les bibliothèques des gens. Ils commencèrent à instruire et à brusquer ces gens-là mêmes qui étaient venus sur Mars pour ne pas être instruits et dominés et brusqués. »

Chronique n°16 des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury

Lorsque nous nous sommes réveillés en constatant qu’une fois de plus, les plaines martiennes s’étaient couvertes de neige. Le vent ayant sifflé autour du Hab au milieu de la nuit, notre premier réflexe fut de se précipiter sur les jumelles, stratégiquement placées sur le rebord du hublot central, duquel on peut voir les instruments atmosphériques. Nous étions soulagés : grâce aux tendeurs, sardines et rochers utilisés, tous les instruments étaient encore debout ! Nul besoin d’une EVA d’urgence…

Ce matin, nous avons décidé de nous écarter un peu de nos habitudes : au lieu de la séance de sport quotidienne classique, Jérémy nous a proposé une séance de yoga, pour bien s’étirer et se détendre. Justement un peu trop détendus à la fin de la séance, et encore trop somnolents à notre goût, nous avons mis de la musique, fait quelques pompes et ri comme des enfants dans le Hab. C’est lors de ces quelques moments où l’on se lâche complètement que je prends conscience de la bonne alchimie de l’équipage : peu importe la quantité de travail et le stress accumulé, nous parvenons toujours à nous amuser ! Ces derniers Sols, la chanson « Cheerleader » de OMI est revenue de plus en plus souvent lors de notre séance de sport ; je sens qu’elle va devenir emblématique de la mission ! 

A l’étage du Hab, j’ai observé mes coéquipiers aller et venir entre les différents modules de la station, pour leurs tests cognitifs, leurs expériences, et leurs tâches quotidiennes, dans le Science Dome ou bien l’Observatoire, à deux ou seuls. C’est certain à présent : nous avons pris le rythme et sommes entrés dans la routine ! Mais une routine qui nous semblera extraordinaire à notre retour sur Terre. 

Après avoir mangé une délicieuse focaccia préparée avec de l’aneth et des tomates du GreenHab, Adrien, Quentin et moi-même sommes allés au Science Dome pour préparer la deuxième EVA à Candor Chasma. Nous avions une heure pour étudier la carte 3D du canyon générée par le drone Parrot et tenter de visualiser l’emplacement des 10 balises, avant de nous y aventurer demain matin ! J’étais surprise de voir la façon dont je traitais le problème, comparé à l’EVA où je n’avais que la carte 2D classique. Puisqu’avec la 3D, nous pouvons “explorer” virtuellement le canyon et visualiser les différents reliefs, Adrien et moi avons choisi de dessiner plusieurs vues de chaque zone d’intérêt, pour trouver plus rapidement les balises une fois sur place. 

En fin d’après-midi, le vent s’était calmé et le ciel était suffisamment clair pour ouvrir le dôme de l’Observatoire, et Alexandre a pu effectuer une première observation de notre Soleil ! Le télescope est équipé d’un filtre Hydrogène-alpha, qui rend possible l’observation de la chromosphère du Soleil sans s’abîmer les yeux. Il permet également d’observer certains phénomènes, tels que les proéminences, les tâches et les éruptions solaires. 

De retour au Hab, j’ai vu Quentin tenter de résoudre des problèmes avec le système de localisation. La moitié de l’équipage est maintenant équipé d’une balise, l’autre moitié en est encore épargnée…

Je suis également fière d’annoncer que l’équipage 275 a le meilleur Agent Santé-Sécurité de tous les temps : pour m’aider à me sentir moins agitée au moment de dormir, il m’a préparé une séance de sport personnalisée. Étant donné mon état actuel, il a de fortes chances que cela fonctionne !

Marie Delaroche

Sol 15

Sol 15 – Canyons Cosmiques

« Les hommes sur le porche écoutaient. N’entendant rien, il étendirent leurs pensées et leurs imaginations aux prairies alentours. »

Chronique n°15 des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury

Aujourd’hui, nous retournons à notre quotidien, si l’on peut toutefois parler de « quotidien » lorsqu’il s’agit d’une mission spatiale ! Corentin nous a permis de bien commencer la journée avec quelques exercices d’étirement et de renforcement musculaire, avant que nous petit-déjeunions en équipage. Alice, Quentin et Corentin se sont ensuite préparés pour la première EVA de la semaine : la photogrammétrie continue ! Destination : Candor Chasma, un canyon situé non loin de la station et chaudement recommandé par l’équipage précédent de Supaero. Les chemins sinueux et le relief très découpé ont donné l’opportunité aux astronautes de placer des balises plus difficiles à trouver, ce qui, nous l’espérons, amplifiera la valeur ajoutée de la carte 3D par rapport à la carte 2D. Après avoir placé 10 balises, l’équipe a eu le temps d’explorer un peu plus le canyon et de profiter du magnifique paysage martien. Heureusement pour eux, les vents forts que nous avons à nouveau subi cette nuit se sont affaiblis dans la matinée pour ne reprendre que dans l’après-midi, ce qui leur a permis d’utiliser le drone Parrot pour réaliser la photogrammétrie du canyon. Alors qu’ils s’éloignaient toujours davantage du Hab, Adrien, le « HabCom », a petit à petit perdu toute communication avec eux, et ne pouvait                     qu’ « étendre ses pensées et son imagination  » vers Candor Chasma à l’aide de quelques bribes d’échanges radio reçues sporadiquement. 

Alors que l’équipe était toujours en EVA, j’ai rendu visite à Alexandre dans l’observatoire. A cause des mauvaises conditions météo des deux dernières semaines, les deux observatoires de la MDRS n’ont pu être que très peu utilisés. Alors que le ciel commence à s’éclaircir, Alexandre va pouvoir commencer son projet d’astronomie. Son objectif est de caractériser des astéroïdes peu recensés pour contribuer à une base de données américaine. En analysant la courbe de luminosité d’un astéroïde (c’est-à-dire sa luminosité tracée en fonction du temps), il est possible d’en déduire certaines caractéristiques, telles que sa période de rotation, sa taille, etc. Néanmoins, Alexandre était frustré de ne pouvoir ouvrir l’observatoire solaire aujourd’hui à cause des forts vents. Les observations qu’il avait programmé la nuit dernière n’ont également pas été réalisées par l’observatoire robotique, malgré les bonnes conditions atmosphériques…

Dans l’après-midi, j’ai servie de cobaye pour Quentin qui déployait les « ancres » du système de localisation dans toute la station. Je portais mon « tag » et il mesurait la distance entre moi et les différentes ancres pour tester le bon fonctionnement des cartes électroniques. De retour au Hab, nous avons constaté que les données enregistrées correspondaient bien à nos mouvements dans la station ! Quentin est fier d’annoncer que le système de localisation est entièrement déployé et opérationnel. 

De leur côté, Adrien et Corentin ont procédé à une grande récolte dans le GreenHab : des épinards, des tomates et de la salade vont nous permettre d’améliorer notre ordinaire ! 

Marie Delaroche

Sol 14

Sol 14 – A message to sailors and astronauts

I have been sailing since I was a little girl. There is a picture of two-year-old me taped into my father’s journal, in front of the newly acquired family sailboat. The caption reads: “Marie gives her approval… c’est parti!”

Ever since that day, few days have gone by when I have not thought about being at sea.

So what, you might say? This is space we’re talking about. After all, I am in fact currently confined inside a metal cylinder 8 meters in diameter along with six other people, 60 million kilometers away from home, on a hostile planet where oceans are relics of the past.

But to me, looking towards the horizon has always felt the same as staring at the stars. Two dangerous, hostile environments, yet so inviting and mesmerizing, staring right back at you. Daring you to come closer, to make it one more mile, to tackle one more hurdle. To explore, just a little bit further…

By the time I could read on my own, I started devouring stories of sailors and space explorers, from swashbuckling pirates to fearless adventurers, from Jules Verne to Conrad. In my dreams, I was alternatively Captain Nemo and Captain Kirk.

As I learned to sail thanks to my father, over the years I grew more and more anxious to do more, go further and further out, in rougher and rougher seas. I wanted to show I was not afraid. I wanted to prove that I was capable, that my instincts on the water were good. I wanted to be what I thought great sailors were like: tough, unflinching, sailing bow first into the storm. I was arrogant, and incapable of turning back. If I turned back, I was weak. If I changed my mind or realized I had made the wrong decisions, I wasn’t a capable sailor.

This summer, my father was thrown overboard in the middle of the English Channel. He was retrieving a torn sail when he was swept off deck, like he weighed nothing, by a sea that had never felt so monstrous to me before. I was no longer capable, or tough, or unflinching. I was at the mercy of the most powerful forces of nature, like an astronaut stranded in deep space or on a deserted planet would be. Space and rough seas are so very much alike in that sense. Both make arrogance inexcusable, and safety the very top priority.
I have never felt so strongly the connection between these two parts of me than now, halfway through our mission at the Mars Desert Research Station. Outside these walls are not 30-foot waves, but an unbreathable atmosphere. There is the cold, and the winds : they whistle around our base when we sleep, and they rattle it so that we feel, not that we will be dismasted, but that the literal roof of the Hab will be blown away. The ship we came to Mars on bore no sails, but we are, after all, a crew!

As a child I devoured sailing stories, but missed the most important lesson these ancient and less ancient heroes wanted to tell me. Being a good sailor, a good captain, a good crewmember, is not about how violent are the winds you confront, how high the waves, how dangerous the waters. It is about how well you take care of your crew, your crewmates, and your ship. I believe the same goes for being a good astronaut.

For every Sol spent on Mars, I learn new things from my mates. I make mistakes, and try to listen a bit more and a bit better than on the previous Sol. And, quite literally, I turn back when the wind is too strong.

 

To fifteen-year-old me, I would like to say this :

Learn from those with experience before you give your two cents.

Listen before you speak.

There is no shame in turning back.

Marie Delaroche
Crew Journalist