Sol 23 – Garder le vaisseau (spatial) à flot !
« J’ai une bonne nouvelle, dit-il. J’ai regardé le ciel. Une fusée vient pour nous ramener tous à la maison. Elle sera là à l’aube. »
Chapitre 23 des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury

Aujourd’hui c’est Jérémy qui vous écrit, car Marie doit prendre soin de sa santé. Espérons qu’elle sera bientôt de retour, et en parfaite forme, pour vous raconter nos chroniques ici bien mieux que je ne le ferai jamais. Entre-temps, Alice et Corentin l’ont accompagnée dans son voyage sur Terre, pour qu’elle puisse s’y faire opérer.
Je dois avouer que c’était un moment solennel que de les voir partir tôt ce matin, tout équipés de leur bagages et de leur détermination. Alors que nous n’étions plus que quatre à bord de la Mars Desert Research Station, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux pionniers de l’exploration spatiale. Ceux qui se sont aventurés seuls dans l’espace, ou encore à la surface de la Lune accompagnés d’un unique co-équipier. Seuls face à l’Univers, loin de chez eux.

Quentin et Alexandre se sont faits la réflexion à quel point la station semblait grande, maintenant que nous étions réduits à quatre et rassemblés dans l’Upper Deck. C’est seulement là que j’ai pleinement pris conscience que les opérations allaient devenir légèrement plus difficiles. En effet, pour des raisons de sécurité, nous devons nous assurer qu’au moins deux d’entre nous reste dans le Hab à tout moment. Ainsi, chacun a dû changer ses petites habitudes, comme Adrien qui a arrosé ses plantes plus tôt que d’habitude afin de pouvoir être disponible dans le Hab pendant l’EVA de ce matin. C’était censé être une opération de routine, étant donné que Quentin et moi-même devions simplement changer les batteries et récupérer les données de nos instruments atmosphériques. Cela dit, même les tâches les plus faciles se teintent de complexité dans un tel contexte.
Ce fut malgré tout l’occasion pour chacun d’entre nous d’expérimenter différents rôles : alors que le Commandant (moi-même) et l’Executive Officer (Quentin) étaient en EVA, nous avons confié la responsabilité de la station à Alexandre. En l’absence du Responsable Santé & Sécurité, ses prérogatives me sont revenues. Et nous avons rassemblé toute notre énergie dans l’écriture de l’ensemble des rapports quotidiens.
Substituer du temps dédié aux activités scientifiques pour d’autres tâches est souvent pour le moins frustrant, mais c’est ainsi : il faut bien que tous les systèmes continuent de tourner, tout en s’assurant qu’aucun risque inutile n’est pris. À bord de la Station Spatiale Internationale, seule la moitié du planning est dédié à la science, tandis que les tâches opérationnelles occupent le reste !
Quand il y en a déjà bien assez pour occuper un équipage de sept personnes, on pourrait penser qu’il est difficile de répartir cette charge de travail sur seulement quatre membres d’équipage. Cependant, je pense que nous avons tous appris énormément les uns des autres. En particulier, nous nous sommes assurés d’avoir suffisamment de redondance pour que n’importe quel sous-ensemble de quatre coéquipiers puisse maintenir nos opérations de base. Je dois dire que je suis très fier de cela : il ne s’agit pas d’un succès individuel de certains d’entre nous, mais bien d’un succès collectif.
Au cours des dernières semaines, nous nous sommes souvent fait la réflexion, alors que nous étions tous attablés, que nous avions l’impression de ne pas être suffisamment nombreux pour que tout le monde soit présent. C’est un sentiment pour le moins étrange, mais nous avions vraiment besoin de nous compter mutuellement pour nous convaincre que nous étions bien là tous les sept. À présent, je vous laisse imaginer ce que cela donne lorsqu’il n’y a plus que quatre membres d’équipage à bord ! Alors qu’il faisait déjà sombre et que je grimpais l’escalier menant à l’Upper Deck, je ressentais presque l’isolement du vieux gardien de phare. C’est plutôt romantique de le voir ainsi, mais il ne s’agit que de l’un des nombreux parallèles que l’on peut tracer entre l’espace et la mer. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si le module européen de la Station Spatiale Internationale s’appelle Colombus.
Comme les marins au large, loin des stimuli du quotidien que le monde a à offrir, nous sommes également plus affectés par un certain nombre d’événements. Par exemple, cet après-midi nous avons remarqué avec beaucoup de peine que les feuilles des plants de tomates commençaient à jaunir, à cause d’une température qui avoisinait les 40°C dans le GreenHab. Pire encore : le corps sans vie de l’un de nos huit poissons a été retrouvé dans le système d’aquaponie. Dans un groupe si restreint, on s’attache rapidement aux choses les plus simples, par la force des choses. Je ne suis pas certain que cet événement aurait eu exactement le même effet sur Terre. Ici, je peux vous assurer que nous porterons le deuil de cette pauvre créature pendant un certain temps ! Adrien a testé la qualité de l’eau pour tenter d’identifier la probable raison derrière ce malheureux événement. Jusqu’à présent tout semble en ordre, nous vous tiendrons informés.
Mais, si vous le voulez bien, j’aimerais finir ce rapport sur une note positive. Alors que j’écris ces mots, l’une de nos deux lunes s’extrait majestueusement de derrière l’horizon, et je viens tout juste d’apprendre que l’opération de Marie s’est terminée sans aucun problème. Elle s’est réveillée de son anesthésie et prendra bientôt la navette retour vers la station, accompagnée de nos deux autres co-équipiers. C’est finalement lorsque l’on perd quelque chose d’important que l’on se rend véritablement compte de sa valeur. Et Dieu sait à quel point ils nous ont tous manqué pendant cette très longue journée !

Jérémy Rabineau