5 Mars 2020
Sol 4 – Crew 223 : Une question de temps
C’est déjà le sol 4 ! On est à peu près au tiers de notre séjour dans la station, ce qui est honnêtement dur à imaginer. On a déjà vécu beaucoup de choses. L’équipage a déjà changé depuis notre arrive, et nous avons grandi en tant qu’unité de jour en jour. Nos corps sont un peu plus fins, et pour certains avec quelques bleus, mais se sentent tous plus forts et plus sains – le régime américain à base de fast-food de notre road trip est loin derrière nous. Ils sont aussi beaucoup plus sales. Pour l’instant, personne ne se plaint des odeurs, mais les jours passés dans un environnement fermé et poussiéreux ont un coût, et le besoin d’une douche ne fait qu’augmenter.
Oui, on a déjà fait beaucoup. C’est sans espoir de s’imaginer explorer toute la zone environnante, ou de faire toute la science que l’on veut, mais on a bien avancé. Pourtant, ces journées sont passées en un claquement de doigts. Le temps passe différemment dans la station. Dire “On est au Sol 4 !” semble parfaitement raisonnable, mais “On est déjà jeudi !” a l’air complètement fou. Très vite, on rentre dans un rythme. 7h du matin, réveil, séance de sport chronométrée, petit déjeuner, préparation EVA, check, check, check, 5 minutes de dépressurisation dans le sas, et les procédures continuent. Tout le monde sait comment se passera chaque minute de sa matinée. Elle seront passées au travail évidemment, mais aussi un peu à attendre le repas. Le déjeuner, comme le reste de l’après-midi, est beaucoup plus libre. Là où les EVA matinales ont tout l’équipage concentré sur une tâche, les après-midis sont pour notre travail personnel. On nous donne le temps de la réflexion.
Dans la station, le reste du monde arrête d’exister, et tout ce qui va avec. Les jours sont plus simples. Plus de réseaux sociaux, plus de pubs autour de nous, plus de bouchons pour aller travailler. Sans distraction, on peut enfin prendre le temps. Du temps pour la science, du temps pour nous et pour les autres. Et, alors que les choses ont la chance d’aller lentement et doucement, paradoxalement, elles se passent sans qu’on s’en rende compte, et on se retrouve tous occupés à rédiger des rapports sur une journée qui ne semblait avoir commencé seulement quelques instants avant. C’est agréable d’être si efficace et de vivre si simplement.
On n’en est qu’au tiers, mais j’ai déjà peur que tout se termine avant que je m’en rende compte. J’essaie de profiter de chaque seconde tant que je peux.
Auteur : Clément Plagne, Journaliste