TECHNIQUE
Comment construire une mission vers Mars ?
Marie : Alors Léa, il serait temps de se pencher sur le Mission Design1 de notre mission vers Mars.
Léa : Oui en effet, la date approche, c’est dans 20 ans.
Marie : Au plus tôt…
Léa : Définissons peut-être déjà l’objectif de notre mission : est-ce qu’on envoie un orbiteur ? Un rover ? Une mission habitée ?
Marie : Les deux premières étapes de l’exploration ont été remplies : on a déjà envoyé des rovers tels que Curiosity et Persévérance, mais également des orbiteurs… Attends, je ne me rappelle plus de leurs noms, j’appelle Erin et Lise.
Erin et Lise : Il y a déjà eu Viking 1 en 1976, qui a survolé la zone nommée Cydonia Mensae.
Léa : Super. Vu que la mission Mars Sample Return, qui a pour but de ramener des échantillons Martiens sur Terre pour étudier la composition de la planète, est déjà en cours, on peut alors commencer le Mission Design d’une mission habitée.
Marie : On pourrait commencer par définir notre trajectoire. Pour cela, on doit prendre en compte la position relative de Mars par rapport à la Terre, mais en prenant en compte le temps de mission pour que Mars soit au plus proche de la Terre à notre arrivée… Cela peut faire varier la durée du voyage de 180 jours, soit environ 6 mois, et 430 jours, donc plus d’un an. En comptant le voyage aller, le voyage retour et le temps sur place, cela nous fait une mission d’environ 3 ans.
Léa : Je te propose un schéma classique : un transfert de Hohmann. Pour ça, il nous faut d’abord orbiter la Terre de façon circulaire. Regarde, je vais faire un schéma de la trajectoire complète…
Léa : Une fois qu’on est en orbite autour de la Terre, on pourra utiliser la propulsion de notre vaisseau spatial, pour s’extraire de la gravité terrestre…
Marie : …donc avoir une vitesse supérieure à 11,2 km/s…
Léa : … et passer sur une orbite elliptique dont l’arrivée sera Mars.
Marie : Puis, on change notre vitesse pour pouvoir nous mettre en orbite autour de Mars. Mais ce n’est pas la seule solution possible ! On pourrait faire le tour du Soleil pour utiliser sa gravité ?
Léa : Oui, on pourrait, mais le transfert de Hohmann est quand même plus simple. Si on reste sur notre idée initiale, il faudra enfin désorbiter un atterrisseur qui viendra se poser en douceur sur la surface de Mars.
Marie : Ok. Maintenant que notre trajectoire est définie, nous devons trouver une fenêtre de lancement et un lanceur adapté. La fenêtre de lancement se définit par la date souhaitée du départ, en prenant en compte la distance Terre-Mars à l’arrivée, mais également le site de lancement : sa disponibilité, sa position sur Terre et évidemment les accords politiques entre les pays.
Léa : Nous pourrions lancer proche de Kourou, en Guyane Française, car ce site est proche de l’équateur, ce qui permet une insertion plus facile en orbite, et moins coûteuse en carburant. Sinon, on pourrait lancer depuis Cap Canaveral, en Floride, sous réserve de l’accord de la NASA…
Marie : Parfait. Quelles sont nos options en termes de types de lanceurs ?
Léa : Déjà, il nous faut un lanceur lourd, c’est-à-dire qu’il doit être capable de mettre en orbite LEO2 au moins 20 tonnes, et donc doit être particulièrement puissant au décollage. Donc, nos options seraient une fusée du type SLS, qui se dirige actuellement vers la Lune, ou la Falcon de SpaceX qui lance la capsule habitée Crew Dragon vers l’ISS. Sinon, il y a Soyouz, le lanceur russe, mais à voir en fonction de la situation géopolitique…
Marie : Attention, 20 tonnes en LEO ne signifie pas forcément 20 tonnes jusqu’à Mars ! Il faut prendre en compte le carburant et les ressources nécessaires au voyage. Par exemple, Ariane 5 peut, en théorie, transporter 5 tonnes jusqu’à Mars, et Saturne V peut, elle, en transporter 30…
Léa : Mais Ariane 5 n’est pas capable de transporter des êtres humains, non ? Et Saturne V n’est plus commercialisée. De plus, Ariane 6 n’a pas encore développé sa capsule habitée, SUSIE…
Marie : En fait, vu la quantité de choses à emporter, peut-être que l’on devrait envisager un lanceur super-lourd, pour envoyer plus de 30 tonnes vers Mars?
Léa : Tu as peut-être raison… Mais avant de choisir, il faudrait d’abord estimer la quantité de ressources nécessaires à un voyage de 3 ans. On peut s’appuyer sur le fonctionnement de l’ISS, où il y a en permanence 6 astronautes à bord. D’après mes estimations, ça nous fait… 33 tonnes de matériel et de ressources !
Marie : Donc on partirait plutôt sur une fusée Falcon Heavy de SpaceX .
Léa : Nous avons donc un lanceur, une fenêtre de tir et une trajectoire. Maintenant, il faut que l’on caractérise notre vaisseau. Quelles contraintes doit-on prendre en compte ?
Marie : Tout d’abord, on sait qu’il y aura 6 astronautes à bord.
Léa : Oui, et qui dit vol habité, dit également protection de l’équipage. Il faut donc déployer un système de type « bouclier » pour protéger l’équipage des radiations, qui sont très dangereuses pour le corps humain3 !
Marie : Et c’est vrai que dans l’espace, près de la Terre, on peut atteindre des températures de près de -270°C, jusqu’à environ 120°C… Sans parler du décollage depuis la Terre, et de l’entrée dans l’atmosphère Martienne ! On doit prévoir un bouclier thermique.
Léa : Oui c’est vrai. En plus, pour subvenir aux besoins des astronautes durant le voyage, ce serait bien d’imaginer un système de support pour la vie en boucle fermée, c’est-à-dire qui recyclerait tous les déchets pour les réutiliser. C’est l’initiative actuelle de l’ESA, qui s’appelle MELiSSA4. Il pourrait recycler l’eau, l’air, mais également les déchets organiques, pour les réutiliser ensuite.
Marie : La protection de l’équipage doit aussi prendre en compte les débris spatiaux. Imagine, une micrométéorite se déplaçant à 7 km/s traverserait le vaisseau pressurisé comme dans du beurre !
Léa : C’est l’explosion assurée. On doit donc être capables de repérer les plus gros débris et de les éviter… Mais il nous faut également une protection solide qui permet d’encaisser les chocs des plus petits, et des plus communs.
Marie : Très bien. Mais d’ailleurs, pour que les astronautes puissent vivre dans le vaisseau pendant plusieurs mois, les plantes qu’ils pourront faire pousser grâce à MELiSSA ne suffiront pas… Il faudra penser à apporter de la nourriture lyophilisée, c’est-à-dire déshydratée. Les astronautes devront donc la réhydrater avant de la consommer.
Léa : C’est ce que nous avons pu expérimenter d’ailleurs durant notre mission analogue à la Mars Desert Research Station. Et je dois avouer que ce n’était pas si mauvais !
Marie : Oui ! Et plus tard, il faudra développer une stratégie pour mener à bien la mission une fois sur Mars. On pourra penser aux habitats, aux serres pour cultiver, au matériel scientifique et technologique… Mais on en parlera une prochaine fois !
NOTES
1_ Mission Design : Processus de description d’une mission spatiale, de ses opérations, l’agencement de ses systèmes, la spécification de ses sous-systèmes. Il est important de s’assurer de sa qualité, et de pouvoir compter sur sa résistance
2_LEO : Low Earth Orbit, entre 500 et 1000 km d’altitude
3_Article corps humain
4_ Article MELiSSA (pas encore en ligne)
*Electrolyse : réaction qui a lieu lorsqu’on fait passer de l’électricité dans de l’eau, et qui permet de générer du dioxygène (que l’on respire) et du dihydrogène.
H2O => O2 + H2
SOURCES
Cours de Sylvestre Maurice, Stéphanie Lizy-Destrez, Minkwan Kim, Annafederica Urbano, Joan Pau Sanchez Cuartielles. Schéma ECLSS réalisé par Quentin Royer, modifié par Léa Bourgély et Marie Delaroche.
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Comment sont choisies les missions spatiales scientifiques ?
On le sait, l’accès à l’espace représente une source infinie de connaissances, à la fois sur la Terre sur laquelle nous vivons, et sur l’univers lointain. Les chercheurs qui s’intéressent à ces domaines ont tout intérêt à envoyer leurs instruments dans l’espace pour faire avancer leurs sujets de recherche, allant du recul de la banquise en Arctique, à la découverte de lointaines exoplanètes. Mais il existe plusieurs obstacles, notamment le coût et la complexité de ces projets : il faut à la fois beaucoup de ressources et de nombreuses équipes compétentes pour développer de telles missions spatiales. C’est pourquoi aujourd’hui, ce sont principalement les agences spatiales, des organisations à l’échelle de pays ou même de continents, qui sélectionnent, financent et envoient en orbite certains projets de missions spatiales. Mais alors, comment des organisations comme la NASA* ou l’ESA* choisissent-elles quel projet sera développé, construit, puis enfin placé dans un lanceur ?
On peut distinguer deux grands types de missions spatiales : celles dont les instruments scientifiques pointent vers la Terre, et celles tournées vers le reste de l’univers. C’est d’ailleurs un peu comme cela que l’ESA classe les missions : deux des programmes (grand projet) principaux de cette agence sont Cosmic Vision et Earth Explorer, qui adressent des questions très différentes. Pour Cosmic Vision, il s’agit de 4 interrogations, très larges, auxquelles les missions intégrées au programme doivent contribuer :
- Quelles sont les conditions nécessaires à la formation de planètes et à l’émergence de la vie ?
- Comment fonctionne le Système Solaire ?
- Quelles sont les lois physiques fondamentales de l’univers ?
- Comment s’est formé l’univers, et de quoi est-il fait ?
Si l’ESA a Cosmic Vision, la NASA, elle, possède plusieurs programmes !
Mais revenons en Europe. Le programme Earth Explorer de l’ESA, comme son nom l’indique, est un programme qui regroupe des missions d’observation de la Terre. Depuis l’espace, on peut réaliser des images très précises de la Terre, permettant de suivre l’évolution d’une région : son relief, son climat, son écosystème. L’objectif pour ces missions est de répondre à des questions importantes sur le climat, la géophysique* et les écosystèmes de notre planète. Par exemple, la mission EarthCare, qui avait pour objectif de déterminer la structure de nuages d’aérosols* et d’observer les radiations émises par la Terre, appartient au programme Earth Explorer.
Maintenant, imaginons que vous et votre équipe ayez un projet de mission spatiale. Il faut d’abord savoir à quel programme vous allez postuler. Quels sont les objectifs scientifiques de la mission ? Quelles mesures cherchez-vous à effectuer, et avec quels instruments ? À quelles contraintes êtes-vous soumis ? Quel phénomène voulez-vous observer ? Pour soumettre une proposition, les réponses à toutes ces questions doivent être présentées en détail dans un Mission Proposal, en réponse à un appel à projet lancé par l’agence spatiale.
Une fois que vous avez constitué votre proposition (un document de plus d’une centaine de pages !), il y a trois étapes principales de sélection :
- Tout d’abord, toutes les propositions sont évaluées par des Mission Assessment Groups, des comités constitués de professionnels indépendants de l’ESA. Ils évaluent votre proposition, et déterminent quel rôle l’ESA devra jouer au cours du développement de votre sonde spatiale. Par exemple , de quelle aide scientifique vous allez avoir besoin, quelles sont vos contraintes expérimentales, etc…
- Puis, les résultats de cette première évaluation sont analysés par l’ESA, qui regarde ici principalement la possibilité technique de réaliser le projet, et son intérêt scientifique. Il doit aussi être en accord avec le cahier des charges* du programme ! Si vous passez cette étape, félicitations : le projet de votre équipe n’est plus qualifié de « proposition » mais de « mission » ! Par exemple, en 2007, pour l’appel à projet de Cosmic Vision, sur 50 propositions reçues, 7 missions ont été retenues.
Enfin, parmi les missions retenues, une dernière sélection se fait, déterminant laquelle d’entre elles va rentrer en premier dans les phases de développement. Même si vous en arrivez là, vous n’êtes pas au bout de vos peines : une mission spatiale se développe sur des années, voir des dizaines d’années ! Pour vous donner une idée, la mission Persévérance, programmée en 2014 et lancée en 2020, a été développée particulièrement vite pour une mission de cette envergure !
Marie Delaroche
NOTES:
*NASA : National Aeronautics and Space Administration
*ESA : European Space Agency (Agence Spatiale Européenne)
*géophysique :
*cahier des charges :
*appel à projet ?
*aérosols
SOURCES :
Cours de Minkwan Kim, University of Southampton
Cours de Sylvestre Maurice, ISAE-Supaero